Imane Djamil
Imane Djamil est née en 1996, elle vit et travaille à Casablanca.
Le travail visuel et littéraire d’Imane Djamil cherche la frontière très fine entre réalité et sublime, dans ce qu’elle appelle Géographies Mentales. Des mondes contingents et inter-culturels s’interpénètrent à travers un assemblage narratif, créant de nouvelles topographies.
L’intérêt d’Imane Djamil pour les lieux en transition post-traumatique la conduit vers une vision à mi-chemin entre l’intime, mais cependant largement répandue auto-fiction, et les contes visuels. Des territoires comme Tarfaya, ville où est né le Petit Prince, personnage de Antoine de Saint-Exupéry, ou Sarajevo, deviennent des microcosmes conceptuels dans lesquels l’Histoire engendre un dialogue métaphorique avec des anecdotes personnelles, politiques ou liées au genre.
En tant que nomade, c’est dans son travail visuel, littéraire et performatif, qu’Imane Djamil trouve refuge pour habiter poétiquement un espace éphémère mais ancré dans les racines de l’auto-empirique.
Alors que sa poésie est immédiate et tumultueuse, souvent décrite comme brute et sans vergogne, ses photographies sont plutôt lyriques.
Une photographie est basée sur une réalité qui inclut la participation active de l’auteur, de la caméra et du sujet, trois composantes nécessaires et vitales (qui peuvent être représentées comme des figures parentales) pour sa conception.
L’artiste s’intéresse au moment de la transition d’une photographie, au moment où le cordon ombilical se casse (le rouleau se développe) et se sépare de l’utérus pour devenir une entité indépendante.
Imane Djamil s’intéresse à l’indépendance d’une photographie, cet enfant mystérieux qui dessine son propre destin indépendamment de son origine.
Si la naissance d’une photographie est le fruit d’un moment qui a existé, son présent est autonome, ce qui en fait une photographie qui a autant de vies que de spectateurs.
Dans sa quête de documenter le temps et l’espace à travers la fiction et la fantaisie, Imane Djamil s’intéresse actuellement au lac Al Firdaous, anciennement connu sous le nom de Carrière Schneider.
Extrait de Lac Al Firdaous
Casablanca était à son image, jeune et bête. Aux promesses agraires, elle tendait à répondre par un legs quasi-total de son territoire. La ville voulait vivre vite et dès lors que l’occasion se présentait, ses côtes, ses flancs et ses gorges pâtissaient de pactes malhonnêtes. Des grosseurs surgissaient là où l’amour devait, selon les prédécesseurs, avoir gain de cause. L’observation de la grosseur survenait en trois étapes. D’abord, la ville regardait la pustule d’un oeil sceptique, se sentait trahie, mais coupable aussi d’avoir été sotte. Elle essayait tant bien que mal de ne rien manifester de sa colère ou de ses craintes. Elle devait maintenant réclamer ses droits mais se savait prise au piège, couillonnée jusqu’à la moelle. Elle voyait pourtant sur la surface de sa peau, l’impact de son consentement: les cris de ses enfants, une plante qui meurt, un barrage, un homme en colère.
Petit à petit, son corps s’adaptait à sa nouvelle architecture. D’un côté et de l’autre
du front, phallus néo-futuriste et condylomes sur pilotis s’avançaient. Faute d’espace, ces grosseurs à lunettes avaient arrêté de se tourner le dos pour se confondre en vis-à-vis, se regarder dans les yeux au grand désespoir de la ville mère qui à défaut de pouvoir se confier, s’était contentée de porter ce champ de bataille comme une nouvelle désignation. « Torturée », « artiste » qu’on disait d’elle sans connaître son histoire, à la ville.
Quant au troisième âge de la vie de la pustule, il était au pire la crise, au mieux la mort.