Ma grand-mère habitait cet immeuble. Mama Aziza. Analphabète. Années 80. Place Pietri, Sococharbo. Son appartement rue Benzerte. Devenu centre d’art. Le Cube. Et moi, artiste.
Ainsi commence l’histoire de ce film. Des parallèles. Le cube. Ma géométrie. Mes volumes. Mes sons.
Extrait du film diffusé lors de l’exposition.
A l’entrée de l’exposition cinq lettres stylisées en bois reprennent des formes géométriques simples : triangle, cube, demi-cercle qui rappellent l’équerre ou le rapporteur, dont la fonction ne se limite pas seulement à mesurer l’espace mais aussi le temps. Celui qui est passé par trois générations. Si la première est analphabète, la dernière écrit en grandes lettres que ça ne va pas mal, littéralement « pas de mal » : La bess.
A ces instruments de mesure qui quantifient l’espace correspondent les lettres d’une langue, vernaculaire, qui ne s’écrit pas vraiment ; un dialecte, la darija, dont les rythmes des mots affectionnent les instruments d’une musique percussive. La bess se mesure en trois temps et les formules qui en sont dérivées se battent à 3, 5, 6, 7 ou 8 temps. Toutes libèrent les notes d’une partition qui, elle, s’écrit et même se dessine selon les codes de l’artiste plasticienne et compositrice.
La formule générique comprend une ambiguïté : interrogative ou affirmative, la sculpture miniature La bess n’est ponctuée d’aucun signe d’interrogation. Est-ce une question que Myriam El Haïk pose au public ou une simple affirmation de soi : « Je vais bien » ? De prime abord, discerne-t-on le signifié puisque, à l’art solennel de la calligraphie, l’artiste préfère l’esprit léger du jeu des devinettes. Ce « pas de mal » du quotidien, élevé au rang d’un bien commun lancé de bouche à oreille et dérivant de corps à corps, recèle des recettes de jeux et de créations multiples qui se partagent en toute convivialité. Dans le langage d’El Haïk, le bess est définitivement conjuré par la basse d’une joie continue !
De ces cinq lettres, une sculpture de grand format, présentée dans l’atelier de l’artiste, est pour sa part une composition de signifiants en forme de toiles colorées, montées sur châssis et modulables à souhait. En somme, si « Je » va bien, « Nous » va bien. Si je joue, alors j’invente et donc nous pouvons jouer, rêver, construire, collectivement, dans une société qui nous prépare à vivre ensemble.
Ainsi, l’artiste échafaude une variation de compositions sculpturales abstraites, à l’équilibre précaire qu’elle nomme Etats. Etats de grâce ? Sont en effet graciés, relaxés, ceux qui entrent dans le salon, littéralement La Chambre d’assise, Bit legless en darija. Cet espace public dans l’espace privé, Myriam El Haïk en fait une installation épurée de sa forme traditionnelle pour concevoir un dispositif géométrique, modulable, dans lequel nous pouvons tout faire : parler, jouer, écouter et même regarder la télévision. Bien entendu, suivant les règles que l’artiste fixe, car elles seules peuvent asseoir les arcanes d’un savoir-vivre en sons, en couleurs et en formes, rappelant que l’art est l’invention de la tradition.
Aussi, dans La Chambre d’assise, nous ne faisons ni le procès de l’artiste ni celui du public mais nous inventons des formes. Les formules de politesses d’antan ont laissé place à des modules de bois avec lesquels on compose des espaces, des rythmes ; avec lesquels on joue, on communique, on communie.
Dans sa démarche, Myriam El Haïk s’identifie à la « langue maternelle du poète » que le philologue franco-allemand Heinz Wismann définit comme étant celle qui se recrée à partir de plusieurs langues, et même dans « l’entre » des langues. Partant, l’éventail des œuvres exposées donne la part belle à cette darija qui s’est transmise de grand-mère en petite-fille, confrontée au joug de tant de langues étrangères et officielles. C’est alors avec le corps et l’esprit de cette petite-fille joueuse et polyglotte que Myriam El Haïk aborde la transmission. A travers le jeu, les polies formes parlent de philosophie, d’esthétique, de morale, de religion, de lien social, de psychanalyse. « Comment allez-vous ? Pas de mal ? » L’artiste y répond par son travail qui dit au public : « A votre tour de jouer ! »
Documentation
• Livret de l’exposition
• Plan de salle
Presse
• « Myriam El Haïk met les formes » par Emmanuelle Outtier in Diptyk n.38
• « Rabat, comment ça va? » in TelQuel n.766
• « Savoir-vivre » in Maison du Maroc n.127
Événements associés
« La Bess ? », « Comment ça va ? »

Photographies par Abdessamad El Montassir.

Photographies par Abdessamad El Montassir.

Photographies par Abdessamad El Montassir.

Photographies par Abdessamad El Montassir.

Photographies par Abdessamad El Montassir.

Photographies par Abdessamad El Montassir.

Photographies par Abdessamad El Montassir.

Photographies par Abdessamad El Montassir.

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