Cette table ronde avec Lotte Arndt au Cube prend place au lendemain de sa conférence au Goethe-Insitut de Rabat, qui présente les différentes étapes de la riche recherche artistique du projet A Hard White Body (2017-2018) de Candice Lin.
Espace ouvert d’échanges, cette rencontre invite à revenir sur divers aspects du travail et discuter les résonances avec les questionnements de travelling narratives : comment les récits peuvent-ils voyager? Comment, d’exposition en exposition, la recherche se transforme et interroge chaque fois son contexte particulier? Comment évoquer les trajectoires de figures minorées de l’histoire en maintenant une perspective inquiète, qui refuse de s’insérer dans les grandes narrations nationales?
« Les affinités électives de Candice Lin
Retour sur les itinérances de l’exposition A Hard White Body (2017-2018) »
Dans son exposition A Hard White Body (Un corps blanc exquis, Bétonsalon, Paris 2017; Portikus, Francfort 2018, Logan Center, Chicago 2018), l’artiste états-unienne Candice Lin entrelace à l’aune de leurs aspects négligés et minoraitaires des histoires de personnages en traversant les siècles. Se rencontrent ainsi l’écrivain et penseur politique noir américain exilé en France James Baldwin (1924-1987), la botaniste française Jeanne Baret (1740-1807), première femme à avoir navigué autour du globe lors du voyage de Bougainville, et Maria Sybilla Merian (1647-1717), artiste et peintre voyageant au 17e siècle dans la poursuite de ses recherches sur les métamorphoses, les insectes et les plantes. Lin associe ces personnages qui, à plusieurs siècles d’écart, ont vécu des désirs permis seulement par le déplacement loin de leur terre natale, se sont retrouvé.e.s au carrefour de dominations intersectionelles, et se sont joué.e.s des projections de genre et de race qui leur étaient assigné.e.s, jusqu’à parfois s’en réclamer.
L’artiste suit les transformations de la porcelaine, depuis une sculpture d’une chambre à coucher en porcelaine non-cuite inspirée du roman de James Baldwin La chambre de Giovanni, qu’elle imprègne d’un distillat de pisse, d’eau de la Seine et de plantes médicinales, jusqu’à un paysage de débris de porcelaine, évoquant les vestiges de l’exposition universelle à Chicago, ravagée par le feu en 1894. La porcelaine est ce corps blanc exquis, objet de la convoitise occidentale en Chine utilisé plus tard comme filtre bactériologique, qui évoque la pureté, la blancheur et la résistance à la souillure.
En associant porcelaine et liquides odorants, documents d’archives et vidéo, dessins et sculpture, Lin met en jeu les histoires de l’exotisme, de la virologie et du commerce global et soulève la question d’un langage racialisé. Elle met en place des processus de contamination entre matériaux organiques et inorganiques, façonnant des écosystèmes sculpturaux instables qui demandent une attention constante. Chacun.e est invité.e à s’y impliquer physiquement.