Dans l’ensemble de son travail et de ses recherches, Abdessamad El Montassir met en lumière la nécessité de considérer les connaissances et les mémoires orales pour questionner les constructions traditionnelles de l’Histoire.
Dans le cadre du summer’s lab, Abdessamad El Montassir investit l’espace du Cube afin d’approfondir ses projets. Il y initie et développe en particulier Al Amakine, une cartographie des vies invisibles (1), un projet d’art et de recherche pluridisciplinaire qui prend forme par la mise en lumière de lieux porteurs d’événements politiques et sociaux qui ne figurent pas sur les cartes officielles.
Ainsi, Al Amakine suit les micro-histoires du Sahara au sud du Maroc, rendues invisibles par l’Histoire officielle. Ces récits, relayés oralement par les populations locales, relatent des événements politiques et sociaux importants qui se sont déroulés dans cet espace géographique. Transmises dans un langage poétique, elles constituent un riche patrimoine immatériel, et déploient une histoire endogène et alternative de ce territoire.
Or il n’existe aucune trace écrite de ces récits, ni aucune cartographie de ces lieux, et leur existence reste méconnue. De ce fait, cet espace géographique apparaît comme un espace vide aux yeux des autres. Il représente ainsi le temps despotique tel que l’a décrit Althusser, c’est-à-dire « un espace sans lieux, un temps sans durée » (2).
Dans une volonté de ré-élaborer culturellement ce silence et ce vide, l’artiste recherche minutieusement ces espaces imperceptibles – dont la trace matérielle s’est en partie effacée mais qui sont restés vivants dans les récits – afin de proposer de nouveaux canaux de transmission à ces histoires.
À la faveur d’un ensemble de photographies et de dispositifs sonores, Abdessamad El Montassir révèle les espaces porteurs de ces récits et événements latents et tend, à une plus grande échelle, à créer une nouvelle cartographie de ce territoire.
Par ce geste, l’artiste dessine alors ce que Françoise Vergès nomme une « cartographie des vies invisibles » (3) : une mise en lumière des espaces qui échappent à l’Histoire officielle et de ceux qui se constituent pour y résister. En étant attentive aux chuchotements, elle offre un espace de reconnaissance et d’action aux micro-histoires.
Conscient de la fragilité de ces narrations, Abdessamad El Montassir tente, avec Al Amakine, de décentrer le récit globalisant des discours hégémoniques en s’exprimant depuis et à travers un espace supplémentaire, singulier, situé « en dehors » des cartes traditionnelles.
Cette place laissée à la narration de la communauté suggère ainsi que les cartographies officielles ne sont pas les seuls territoires du vivant et que des choses adviennent aux confins des logiques admises.
1. Al Amakine signifie les lieux en arabe. Le titre du projet est tiré d’un texte éponyme de Françoise Vergès
2. L. Althusser, Montesquieu, la politique et l’histoire, PUF, Paris, 2003. Cité par Homi K. Bhabha, Les lieux de la culture : Une théorie postcoloniale, Payot, Paris, 2007, p. 371.
3. Françoise Vergès, Cartographie des « vies invisibles », in État des Lieux : Symposium sur la création d’institutions d’art en Afrique, Hatje Cantz, Ostfildern, 2013, p. 37-45.