« Qu’est-ce qu’une Trace-mémoires ? C’est un espace oublié par l’Histoire et par la Mémoire-une car elle témoigne des histoires dominées, des mémoires écrasées et tend à les préserver. »*
Transmis oralement dans un langage poétique par les populations locales, les récits qui relatent les événements politiques, culturels et sociaux inhérents au Sahara au sud du Maroc, disparaissent des discours officiels faute d’avoir été retranscrits sous forme de document. Ces savoirs immatériels, ces Traces-mémoires telles que pourrait les définir Chamoiseau, rendus invisibles ou volontairement niés par l’Histoire, constituent pourtant une matière historiographique essentielle de cet espace géographique apparaissant comme vide aux yeux des autres.
Suivant ces récits qui le conduisent dans les régions de Boujdour, Laâyoune, Tarfaya, Guelmim, Es-Semara ou Tan-Tan, Abdessamad El Montassir ravive ces archives latentes et subvertit les chroniques établies pour proposer une approche alternative, dissonante, non pas figée mais renouvelée et endogène du territoire. Les poèmes en hassani que récitent les savants qu’il rencontre, l’orientent vers ces autres terrains d’énonciation qui donnent toute son épaisseur à l’Histoire.
Depuis 2016, l’artiste investigue minutieusement ces espaces imperceptibles et déploie, à la faveur d’une série photographique composée de lieux symboliques et de plantes endémiques, un atlas singulier tracé par les trajectoires de femmes et d’hommes anonymes.
Al Amakine, une cartographie des vies invisibles** ouvre ainsi un interstice inédit qui met en lumière les micro-histoires du Sahara du sud marocain, et comble le silence et le vide entretenus par les discours reconnus. L’exposition invite dès lors le spectateur à écouter ces voix silencieuses et à décentrer son regard pour penser autrement ces espaces géographiques situés en dehors des cartes et des Histoires officielles.
« Je chante les mémoires contre la Mémoire. Je chante les Traces-mémoires contre le Monument. »*
Gabrielle Camuset et Alice Orefice,
commissaires de l’exposition
* Patrick Chamoiseau in Guyane, Traces-mémoires du bagne, 1994
** Al Amakine signifie les lieux en arabe. Le titre du projet est tiré d’un texte éponyme de Françoise Vergès.