L’image comme graine, Le mot comme compost.
« Par où commencer pour raconter une histoire ? » Avec cette question, Alina d’Alva Duchrow nous ouvre des voies possibles pour aborder Teologia Natural (Théologie naturelle), la première exposition de l’artiste brésilienne au Maroc.
À l’occasion du bicentenaire de l’indépendance du Brésil, cette exposition nous invite à réfléchir à la manière dont se sont constituées les cartographies du monde moderne, nous appelant à réélaborer l’imaginaire d’un territoire.
Le titre de l’exposition fait référence à la « croyance chrétienne selon laquelle la nature existe pour l’amélioration de l’humanité, (…) une idée largement acceptée aux 19e et 20e siècles, principalement par l’Empire britannique : les richesses naturelles, réparties aux quatre coins de la Terre, n’appartiennent pas à un seul peuple et doivent être mises à la disposition de tous »1. Cependant, plus qu’une question religieuse, ce sont les intérêts mercantiles qui ont progressé sur les territoires de l’Amérique du Nord et du Sud, de l’Asie et de l’Afrique et qui se sont imposés.
À travers des vidéos, des installations et des dessins, Teologia Natural rassemble les débats actuels sur la nature, l’extinction, la mémoire collective et la production historique, en les reliant à la mémoire familiale de l’artiste et à un événement qui a marqué l’histoire de l’occupation de l’Amazonie et le développement de l’industrie mondiale : l’extraction du latex pour la production de caoutchouc à partir de la sève de l’Hevea brasiliensis, l’arbre à caoutchouc.
Dans Medicina (Médecine), de fines membranes de latex moulées à partir de caoutchouc industriel et de surfaces en plastique créent un nouveau paysage qui nous place devant la mémoire spectrale de la matière végétale. Les peaux opèrent une sorte de restitution de la sève au monde vivant d’où elle a été prélevée. L’œuvre se veut un antidote, un contre-sort fait de langage pour subvertir la logique symbolique du parcours pervers de la marchandise.
Quem me encontrar parado me empurre para o meio (Quiconque me trouve immobile me pousse au milieu) était le texte écrit à la surface d’un bateau miniature sur une photographie de 1915 trouvée par d’Alva Duchrow, à l’intérieur d’un livre. Les travailleurs migrants qui partaient en forêt sans savoir s’ils reviendraient un jour utilisaient ces simples artefacts comme moyen de communication et comme acte de foi. Dans la vidéo, l’artiste lit une lettre de 1953 tandis que nous la voyons pousser un bateau sur la rivière. Elle dénote le désir de garantir le flux des souvenirs dans un refus explicite de l’effacement, évitant ainsi les naufrages à venir.
Dans l’installation Eldorado, nous sommes confrontés à une série d’images hybrides nées du rapprochement onirique d’histoires, d’êtres, de corps, de mythes, d’objets et de sensations liés à l’exploitation du caoutchouc dans la forêt. L’un des moteurs de la violence extractiviste coloniale, la recherche de l’Eldorado est ce qu’Isabelle Stengers appelle la « sorcellerie capitaliste ».2
La vidéo A semente (La graine) relie la vie de l’arbre aux vies humaines et non-humaines transformées par sa découverte et le monde nouvellement industrialisé. Comme un conteur qui a besoin d’entretenir le fil de la vie à travers la mémoire, la voix de l’artiste traverse un réseau complexe d’événements où le visible et l’invisible s’entremêlent, nous amenant à une autre lecture du présent et de la nature.2
Entre récits de naufragés et mémoires d’un corps en constant déplacement, l’artiste embrasse le langage comme une manière de re-signifier le traumatisme de l’histoire, s’ouvrant à l’écoute des territoires sur lesquels s’inscrivent ces récits multiples et polyphoniques. Dans un nouvel agencement possible, la vie se réorganise et renégocie malgré tout des espaces d’existence. La vie, comme la mort, est aussi inéluctable.
1 Joe Jackson. O Ladrão do Fim do Mundo. Rio de Janeiro : Objetiva, 2011.
Dans ce livre, l’auteur décrit le vol de 70 000 graines d’Hevea brasiliensis par un Anglais. Après cela, l’Angleterre a commencé à le cultiver dans ses colonies tropicales, brisant le marché du caoutchouc brésilien et obtenant le monopole mondial.
2 Philippe Pignarre & Isabelle Stengers. La Sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement. Paris : La Découverte, 2005.
Programme autour de l’exposition:
Tour guidé et artist talk avec Alina d’Alva Duchrow
4 novembre à 18h
Événements associés
Teologia Natural

à gauche:
"Quem me encontrar parado me empurre para o meio", vidéo,
2019
à droite:
"Medicina", installation, latex naturel, 2022
photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane
