Kader Attia
« Après plusieurs années de recherche en Afrique, d’Alger à Kinshasa, où j’ai vécu, j’ai développé le concept de « réappropriation culturelle » – une continuité logique du processus de mixage sans fin que les signes culturels génèrent ensemble. Comme tout organisme animal ou végétal, toute culture humaine a besoin de se réinventer pour évoluer, puis s’adapter et survivre dans de nouveaux environnements. Mais le terrain qui ressuscite cette réappropriation croissante est un phénomène ambivalent : « la réparation » / réparation.
Des sociétés anciennes d’Afrique au Japon réparent en laissant la plaie encore visible : avec le kintsugi, par exemple, qui consiste à peindre en or la fissure réparée dans un objet en céramique. De nombreux objets africains datant de l’époque du colonialisme incluent des traces du pouvoir oppresseur, comme l’argent ou le tissu européen, qui servaient à décorer et à réparer, en tant qu’acte créatif de réappropriation culturelle. Au contraire, l’Occident moderne a toujours cherché à revenir à l’état primitif d’une chose blessée.
Notre monde contemporain est hanté par les blessures du passé. Les traumas résultant des pires moments de l’histoire tels que les guerres, les famines et les génocides ont laissé des cicatrices matérielles et immatérielles durables qui, comme un membre fantôme d’une partie amputée du corps, sont toujours là. Ils exigent une réparation, et la proximité permanente du monde des morts nous oblige à écouter leurs appels. En étendant à la psyché humaine au corps de ma recherche politique sur le concept de réparation, j’ai approfondi l’importance du caractère immatériel des plaies. Les traumatismes de masse et les injustices durent beaucoup plus longtemps que l’acte en lui-même ; ils persistent comme un membre fantôme d’une partie amputée du corps, et ils demandent réparation. Garder les plaies visibles, c’est accepter le réel. J’ai donc entrepris de réparer ces blessures en poursuivant ce que mes recherches m’avaient enseigné : la réparation est un oxymore qui inclut aussi la blessure : le nier, c’est le maintenir. En réparant les fissures que l’Histoire a laissées avec des agrafes métalliques, avec des fils ou avec des pansements provenant souvent d’autres cultures, je donne la parole aux victimes, je permets au traumatisme de nous parler et ainsi de cheminer vers la catharsis.
L’Histoire de la pensée du pouvoir, héritière de l’esclavagisme, de la colonisation et des génocides, écrit inlassablement une histoire hégémonique et universaliste, et nie par sa certitude celle des fantômes et des blessures qu’elle engendre, et qui grandissent sans cesse, malgré la distance dans le temps du traumatisme. Comme un membre fantôme, ces blessures sont là et les œuvres sont un moyen de rappeler la nécessité de leur réparation même lorsqu’elles sont irréparables. »
Kader Attia, 2018
Textes
• Kader Attia and Marion von Osten – Interview
• « Scarification, the self-skin architectur »
• « The Field Of Emotion » by Kader Attia
• « The Loop or the Vortex » by Kader Attia

Mixed media installation.
Exhibition view dOCUMENTA 13, at Fridericianum, Kassel, 2012.
Commissioned and produced by dOCUMENTA (13) with the support and courtesy of the artist, Galleria Continua, Galerie Nagel Draxler, Galerie Krinzinger. Further support by Fondation nationale des arts graphiques et plastiques, France.
Photo: Roman März

Site-specific installation; kesra bread.
Exhibition view “Les racines poussent aussi dans le béton”, MAC VAL - Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine, 2018.
Courtesy of the artist.
Photo: Aurélien Mole

Site-specific installation ; Fences, stones ; 200 x 350 cm each.
Exhibition view “Les racines poussent aussi dans le béton”, MAC VAL - Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine, 2018.
Courtesy of the artist
Photo: Aurélien Mole

Installation, cooked couscous and black-and-white portraits of Fernand Pouillon and Le Corbusier (photocopies).
Installation view "But a Storm is blowing from Paradise: Contemporary Art of the Middle East and North Africa", Solomon R. Guggenheim Museum, New York.
Courtesy of the artist, Galerie Nagel Draxler, Tate Gallery London and Solomon R. Guggenheim Museum, New York.
Photo credit: David Heald

Series of silver prints
100 x 120 cm each.
Collection of Sharjah Art Foundation, Sharjah; Collection Barjeel Art Foundation, UAE; Mac/Val Musée d’Art Contemporain, Vitry-sur-Seine; Collection Société Générale; Paris-La-Défense; private collection
Courtesy of the artist and Galerie Nagel Draxler.
Photo: Kader Attia

In situ sculpture. Metallic staples, concrete.
Exhibition view "The Field of Emotion", at The Power Plant, Toronto, 2018.
Courtesy of the artist .
Photo: Tony Hafkenscheid