En 1910, l’exposition « Chefs-d’œuvre de l’art mahométan » à Munich présentait des tapis exposés sur les murs comme des peintures ; exposition qui a incité de nombreux européens à visiter le Maghreb pour étudier ses savoirs artisanaux locaux.
En 1927 – 13 ans après son voyage à Tunis – Paul Klee, alors enseignant au Bauhaus, a créé un dessin inspiré des « Kilims » monochromes réalisés par des Berbères tunisiens. En étudiant sa structure et ses motifs, Klee a développé une relation entre l’objet artisanal, les arts décoratifs et un langage spécifique de l’abstraction.
Le dessin Teppich (tapis) de Klee est l’un des quatre objets sur lesquels se focalise le programme bauhaus imaginista. Il met en lumière l’une des nombreuses tentatives des artistes du Bauhaus d’apprendre des pratiques pré-modernes et de déclencher des débats autour des lectures transculturelles des objets vernaculaires. Le dessin de Klee ouvre la question d’un point de vue contemporain : comment et à travers quels cadres les objets d’artisanat sont transformés en une œuvre d’art ou un design innovant ? Qu’est-ce qui est acquit et qu’est-ce qui est dissimulé dans de telles lectures?
Selon l’artiste franco-algérien Kader Attia, les objets non-occidentaux que l’on retrouve dans les musées, comme les tapis berbères, ont été détachés de leur signification originelle avec leur retrait de leur contexte initial. Par un processus inconscient, ils ont été nettoyés du corps physique et social auquel ils doivent être reliés pour fonctionner et être complets. Pour comprendre pleinement l’identité d’un objet, Attia soutient que nous devons le reconnecter au corps.
Dans le cadre de bauhaus imaginista, Kader Attia produit un nouveau film, basé sur des études sur des bijoux berbères qui, en plus des métaux traditionnels et des pierres précieuses, ont également utilisé des pièces de monnaie importées par les puissances coloniales. Au travers de l’appropriation de la monnaie européenne, cet argent s’est détaché de sa valeur originelle. Les photographies de bijoux berbères tirées du nouveau film d’Attia dévoilent une relation complice entre tradition et modernité et soulignent comment les rencontres interculturelles déclenchent toujours un processus sans fin d’échange et de réappropriation.
C’est ce processus ouvert de lectures transculturelles qui a également été à la base du mouvement artistique post-indépendantiste marocain des années 1960. Les artistes et designers de Casablanca ont revisité le programme du Bauhaus en se tournant vers l’artisanat local. Pour eux, comme le démontrent les recherches réalisées par Maud Houssais ici présentées, l’artisanat amazigh offrait une alternative à l’éducation artistique classique issues de la tradition des Beaux-Arts mise en œuvre sous la domination coloniale française. Affirmant la nécessité de décoloniser la culture et le programme des écoles d’art, les artistes et intellectuels comme Farid Belkahia, Mohamed Chabâa, Bernt Flint, Toni Maraini et Mohamed Melehi ont revisité les formes d’art populaire pour créer une nouvelle langue post-coloniale visant à repenser les arts. Ces interpénétrations entre différentes structures de connaissances, qui dépassent la hiérarchie habituelle entre le manuel et le l’intellectuel, entre la culture populaire et la culture de l’élite, est toujours un défi pour les institutions artistiques d’aujourd’hui.
Comment la lecture des cultures peut-elle être décolonisée? Avec le lancement du programme annuel de bauhaus imaginista à Rabat les 23 et 24 mars 2018, cette question se reflète dans l’étude des objets vernaculaires et des projets parallèles au XXe siècle qui voulaient dépasser les paradigmes occidentaux de la production de connaissances et de transferts.
Documentation
• Dépliant, double page extérieure
• Dépliant, page intérieure
• Affiche
• Feuille de salle: bauhaus imaginista
• Feuille de salle: démarche Kader Attia
• Feuille de salle: légende des archives par Maud Houssais
Lien externe
Site internet de bauhaus imaginista
Presse
• « Le Maghreb se réapproprie le Bauhaus » par Zouina Ait Slimani in Manazir
• « Kader Attia célébre le Bauhaus à Rabat » in Diptyk n.42
• « Kader Attia, le Maroc et le Bauhaus » par Maud Houssais in Diptyk n.43
• « Rabat, lancement de l’exposition Bauhaus Imaginista », entretient avec Maud Houssais sur Medi1TV
Tour de l’exposition bauhaus imaginita avec Marion von Osten et Maud Houssais