Au départ de cette exposition une définition.
Celle du philosophe français Jacques Derrida: l’archive est un « objet social qui façonne le présent, le passé et le futur ».
Le concept d’Archive(s) Sensible(s) s’intéresse à des archives relevant de mémoires intimes, familiales, domestiques, individuelles ou collectives et qui, en ce sens, se confrontent à des vécus émotionnels comme sources du savoir.
Archive(s) sensible(s) s’articule autour de cette idée et propose au visiteur avant tout une expérience et une réflexion sur le monde sensible.
L’exposition se structure autour de trois axes, trois notions induites par cette archive sensible.
La première questionne l’archive comme forme de mémoire et la sélection sous-jacente que cela implique : qu’est ce qui fait archive et qu’est ce qui ne fait pas archive? C’est dans son absence que la notion d’archive a, bien souvent, une portée majeure. Comment se constitue la mémoire à travers l’absence d’archive ?
L’exposition s’intéressera aux écritures d’une histoire sans archive: à travers la destruction ou la privation d’archives, c’est une mémoire à part entière qui se trouve niée, remise en question. Comment s’écrit une histoire sans archive, dans la destruction (durant les périodes historiques de domination telles que la colonisation ou le fascisme) ou dans la privation d’archives ?
C’est précisément la question que pose la photographe tunisienne Héla Ammar à travers la série Tawasol.
Tawasol, qui signifie en arabe à la fois correspondance mais également transmission, s’articule comme une correspondance reconstruite ou imaginée et s’intéresse aux interactions et aux déformations et à ce qu’elles comprennent comme failles de la mémoire collective et individuelle. Car, pour la photographe, c’est précisément dans ces failles, à travers ces fragments sensibles, que se construit la mémoire individuelle et l’imaginaire collectif.
L’archive sensible, qui relève de la mémoire, devient ainsi un véritable outil de résistance aux cadres de domination. L’archive sensible, ni physique ni document, est trace, empreinte intangible mais transmissible. Il s’agit d’indices de quelque chose qui a eu lieu. Indices sensoriels, mémoriels, individuels et collectifs liés à l’émotion, et qui constituent une forme d’archive au potentiel politique.
Les artistes M’Barek Bouhchichi et Abdessamad El Montassir s’intéressent à ce potentiel politique de l’archive sensible en contant des histoires tues.
Ainsi, à travers son installation sculpturale Re-enactment Act III, M’Barek Bouhchichi répare l’objet traditionnel représenté par le plafond arabe et le dissèque pour en rendre visible le système géométrique, pour en mettre à nu ses rouages, telle une métaphore de la société, tel document silencieux face à notre modernité.
L’artiste Abdessamad El Montassir réactive, quant à lui, des récits méconnus et écrit ainsi une histoire alternative. Sa pièce sonore Al Amakine ravive les archives non-matérielles du Sahara Marocain, rendues invisibles. Transmises oralement par les populations locales dans un langage poétique, ces témoignages content des événements politiques, culturels et sociaux d’un espace géographique donné.
Enfin, l’archive sensible sera considérée dans sa dimension poétique : une archive de l’invisible qui tente de représenter le sensible. Cette archive questionne ce qui est donné à voir ; au-delà de l’image, des couleurs, que voyons-nous dans l’œuvre et qu’est-ce que l’œuvre nous donne à voir ?
L’artiste tunisien Haythem Zakaria, s’intéresse à cette archive de l’invisible. Son installation sonore ATLAS // Opus.O produite à l’aide d’un synthétiseur modulaire auto-génère une archive infinie de sons. Des sons qui ne seront jamais les mêmes et pourront ainsi exister de manière infinie. Un extrait de cet enregistrement est mis à l’écoute du visiteur de l’exposition.
La vidéo Axis Mundi II interroge, quant à elle, ce qui est donné à voir : qu’est ce qui se cache derrière l’apparence familière de certains lieux hors du temps ?
Dans la vidéo Contact Aveugle, qui clôt l’exposition, c’est une archive sensible de l’invisible, une archive presque impossible, que l’artiste Mustapha Azeroual tente de conduire, en documentant l’aveuglement progressif d’un capteur de caméra par l’action de la lumière, condition essentielle du visible, jusqu’à sa destruction.
Dans le tirage extrait de la série Monade de Mustapha Azeroual, ce sont les traces d’impacts de lumière qui émergent à l’œil du visiteur, archives d’empreintes, d’actions invisibles. L’artiste, réactive cette œuvre dans l’obscurité grâce à une lumière noire.
Ce parcours, entre image, son et lumière, convoque les sens de chacun et nous invite à repenser l’archive, l’arkhé, non seulement comme ordre social mais également et surtout comme le lieu où arrive quelque chose…
Laura Scemama, commissaire de l’exposition.
Archive(s) Sensible(s) est soutenue par l’Institut Français du Maroc, le SCAC (Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France au Maroc) et Wallonie-Bruxelles International.
Documentation
Dépliant de l’exposition
Presse
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