Pour l’exposition Les Palmiers Fatigués, Markus Waitschacher, curateur autrichien invité par Le Cube, rassemble des positions artistiques de Regula Dettwiler, Seif Kousmate, Christian Kosmas Mayer, Edith Payer, Ghita Skali, Katrin Ströbel et Roswitha Weingrill sur le thème des palmiers et autres plantes, qui déplacent symboliquement les frontières sur fond de migration.
« Dans le Nord global, les palmiers et autres plantes « exotiques » sont admirés et contemplés dans les serres, les jardins botaniques et les palmeraies. Ils sont des souvenirs et des témoins de la pratique coloniale qui, pendant des siècles, a expédié arbitrairement non seulement les hommes, mais aussi leurs colocataires végétaux, les a catégorisés « scientifiquement » et les a exploités à mort. Les palmiers en sont devenus fatigués.
Suite au réchauffement rapide de la planète, les palmiers et leurs amis naturels pourront bientôt vivre partout, même en dehors des serres, dans des régions autrefois plus froides. Mais les changements climatiques menacent en réalité gravement leurs habitats naturels. Même les palmiers ne résistent plus aux tempêtes, aux vagues de chaleur et aux inondations. La multiplication des catastrophes naturelles et le danger qu’elles représentent donnent un aperçu de l’évolution de la situation pour les hommes.
L’exposition rassemble différents travaux sur le thème des palmiers et autres plantes, qui – issus de l’immigration – déplacent symboliquement les frontières. Toutes les positions artistiques ont en commun le fait que leurs plantes souffrent et se fatiguent symboliquement sous le poids de toutes les projections qu’elles doivent absorber, des tourments réels auxquels elles sont exposées ou des éternels malentendus et mauvais usages de leur espace vital.
Les palmiers fatigués sont symptomatiques de la fatigue d’une société qui ne parvient pas à trouver le repos malgré le sommeil. Les palmiers, les plantes vivaces et autres plantes dites exotiques s’offrent comme des surfaces de projection aux interprétations multiples – quelque part entre le lointain luxuriant, les sentiments de vacances rêvés ou les « tristes tropiques ».
Ghita Skali nous invite à une visite touristique fictive des antennes de palmiers du Maroc. Les antennes et les stations radio se déguisent depuis longtemps en nature dans le monde entier, et notamment en palmiers au Maroc. Inversement, elle a imprimé ces antennes cachées dans les arbres et les palmiers sur des papiers peints, ramenant le discours sur les papiers peints et les objets d’ameublement « orientaux » qui marquent depuis des siècles le regard occidental sur le monde. Ses papiers peints décalés montrent un reality check avec l’image romantique à travers laquelle nous aimons admirer chaque lointain.
Seif Kousmate attire l’attention sur un problème local aigu. Au cours des deux derniers siècles, deux tiers des 14 millions de palmiers du Maroc sont morts. Il a visité des oasis qui sont gravement touchées par la catastrophe climatique. Ses photos de la série Waha ( واحة ), qui signifie oasis en arabe, ne montrent pas des lieux de nostalgie romantiques, mais des endroits maltraités et mourants, où les habitants humains comme végétaux sont appelés à disparaître.
Christian Kosmas Mayer emprunte un bananier vivant pour son installation Coup de soleil. Les feuilles de ce dernier peuvent porter des images en elles-mêmes si des négatifs photographiques sont placés sur leurs feuilles pendant plusieurs semaines. La photosynthèse des plantes devient alors une photographie et produit des images éphémères dans différentes nuances de vert. Le processus qui fait apparaître des photos sur la peau des utilisateurs d’Instagram, qui ont lancé l’engouement pour « l’art des coups de soleil » depuis l’été 2015, fonctionne de la même manière, bien qu’il soit assez malsain et tout en rouge. Mayer inscrit sur les feuilles des plantes – sans danger pour elles – des images de cet art humain des coups de soleil.
Les palmiers déformés par le vent, dont la courbure et le souffle doivent permettre de lire visuellement la force du vent, sont une image classique dans les reportages sur les ouragans. L’espèce de palmier la plus répandue en Floride, Dictyosperma album, est aussi appelée « hurricane palm ». Cela s’explique par sa capacité à laisser tomber ses feuilles en cas de vent fort, afin d’éviter de graves dommages au tronc. Pour sa série How to fold a palm tree, Roswitha Weingrill installe dans l’espace un palmier en différents morceaux de tissu et fait référence à l’état catastrophique de notre planète.
Edith Payer présente une installation spécifique au lieu, Anthropomorphic Notes On Palms, une série de dessins, de feuilles graphiques, de photographies et de collections de matériaux qui se penchent sur l’anthropomorphisation des plantes, et plus particulièrement des palmiers. Si l’anthropomorphisme est souvent considéré comme une humanisation inappropriée des objets de recherche dans le domaine des sciences naturelles, un regard animiste sur le monde révèle toujours une relation affective avec celui-ci et permet, dans certaines circonstances, de le traiter avec plus de soin.
Regula Dettwiler présente dans son travail Histoire naturelle du monde artificiel des aquarelles qui, à première vue, ressemblent à des herbiers, des études biologiques de plantes. Cependant ses objets d’étude ne sont pas des êtres vivants, mais des parties de plantes en plastique; ce matériel sans lequel la nature ne serait plus du tout imaginable.
D’uatre part, ses plantes d’intérieur revêtues de bordures en dentelle sont une formulation exagérée d’un concept naïf de la nature.
Dans de l’installation Ile de Gorée de Katrin Ströbel, nous voyons un paysage (urbain) bordé de palmiers de l’île de Gorée, cette île au large du Sénégal sur les terres de laquelle tant de personnes ont été envoyées comme esclaves du continent africain vers les Amériques. Katrin Ströbel fait souffler un vent artificiel sur les feuilles de palmier à travers un ventilateur. La tristesse de l’histoire qu’elles ont vécue est inscrite en elles. En même temps, elles doivent se balancer au gré du vent et toujours servir et entretenir l’image d’un lointain exotique et romantique. »
(Markus Waitschacher)
L’exposition est réalisée grâce au soutien du Ministère Autrichien de l’Art, de la Culture, des Services Publiques et du Sport/Dept. Art et Culture, du Goethe-Institut Marokko, de l’Ambassade de Suisse à Rabat et de l’Ambassade d’Autriche à Rabat.
Documentation
Dépliant de l’exposition
curators zone
Les Palmiers Fatigués

devant à gauche:
Christian Kosmas Mayer, coup de soleil, bananier, impression UV sur verre, supports métalliques, aimants, 2015
Edith Payer, Anthropomorphic Notes on Palms, 2022
devant à droite:
Edith Payer, Anthropomorphic Notes on Palms, 2022
derrière:
Regula Dettwiler, Portrait, plante d’intérieur, dentelle, 2022
Regula Dettwiler, Histoire Naturelle du Monde Artificiel aquarelles, depuis 2014
photo: Mohamed Alouane

devant à droite:
Christian Kosmas Mayer, coup de soleil, bananier, impression UV sur verre, supports métalliques, aimants, 2015
devant à gauche:
Roswitha Weingrill, how to fold a palm tree, textiles, dimensions variables, 2016
derrière:
Seif Kousmate, de la série Waha, technique mixte, 2021
photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

derrière:
Seif Kousmate, de la série Waha, technique mixte, 2021
photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

derrière:
Regula Dettwiler, Histoire Naturelle du Monde Artificiel aquarelles, depuis 2014
photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane

photo: Mohamed Alouane